La crue soudaine de rivières en hiver constitue un danger bien réel pour les grimpeurs. Le froid, la chaleur, les variations brusques de température, la noirceur, les blocs de glace et les cailloux qui tombent, les stalactites, les avalanches, la glace mince et fragile et l’éloignement sont tous des dangers connus (du moins, ils devraient l’être) des grimpeurs de glace. Plus sournois, les embâcles s’ajoutent à cette liste déjà longue de dangers auxquels les grimpeurs hivernaux s’exposent.
En amont de ces barrages naturels, le niveau d’eau peut monter très rapidement. Ceci peut créer une inondation en amont de l’embâcle et une baisse du niveau d’eau et du débit en aval. Tôt ou tard, l’embâcle va toutefois céder. S’il est demeuré en place suffisamment longtemps, une vague très importante pourra être créée. Une très longue vague qui entraînera avec elle d’immenses blocs de glace prêts à tout broyer, grimpeurs inclus, sur leur passage. Lorsqu’un tel embâcle cède, le niveau d’eau peut monter de quelques mètres en quelques secondes. Une crue subite de huit mètres a déjà été observée sur l’imposante rivière Mistassini.
Il est probable que la rupture d’un embâcle soit responsable de la crue qui a failli coûter la vie à cinq grimpeurs en janvier 2014 sur la rivière Jacques-Cartier, à Pont-Rouge. Le niveau de l’eau a alors monté de deux mètres en quelques secondes à peine. Sur les images qu’ils ont captées avec une GoPro, on peut voir la surface de la rivière qui change de façon incroyablement rapide. Le temps est indiqué dans le coin inférieur gauche des images. Entre la 3e et la 8e seconde de la vidéo, bien que le chien soit demeuré immobile sur un bloc de glace, il s’est déplacé de façon marquée vers l’aval et a été soulevé de plus de deux mètres. Un sac à dos qui se trouvait à quelques mètres à peine de lui a été entraîné loin de la rive et n’a jamais été revu. Si les grimpeurs ou le chien s’étaient trouvés près du centre de la rivière au moment de l’arrivée de la vague d’eau, ils seraient certainement morts, broyés et noyés. Seuls des sacs ont été emportés, mais il s’en est fallu de peu pour que l’évènement ne tourne à la tragédie. Cliquez ci-dessous pour visionner la vidéo, très impressionnante, de l’incident à Pont-Rouge.
On ne peut prédire exactement quand aura lieu une crue soudaine de rivière. Mais d’en connaître l’origine, la rupture d’un embâcle, peut aider à éviter de se retrouver au mauvais endroit au mauvais moment. L’hiver, deux processus très différents, se produisant dans des conditions tout aussi différentes, peuvent mener à la création d’embâcles. Peu importe le processus qui crée l’embâcle, la rupture se produit tout le temps au moment où l’embâcle ne peut plus supporter la pression de l’eau qui s’accumule en amont.
Pont-Rouge le 6 janvier 2014. Remarquez les blocs de glace partout au pied des murs.
Photo Philippe DuBr
Embâcles de glace
L’embâcle de glace est le mieux connu des types d’embâcles hivernaux car c’est le plus destructeur et donc le plus médiatisé. Il se produit le plus souvent après un fort redoux ou de fortes précipitations de pluies. La glace de surface cède alors puis elle s’accumule pour former un barrage naturel de glace. Le niveau d’eau en amont de l’embâcle peut monter très rapidement car le débit de la rivière est alors élevé. Les conditions propices à la formation d’un embâcle de glace : redoux, précipitations, fort ensoleillement, couvert de glace important, méandres ou rétrécissement de la rivière.
Embâcles de frasil
On peut avoir tendance à croire qu’un faible couvert de glace, un faible débit de rivière et un froid mordant (situation qui se rencontre principalement en décembre et en janvier, soit au début de l’hiver) sont des conditions peu propices à la formation d’embâcles. Ce sont toutefois des conditions idéales à la formation d’embâcles de frasil. Le frasil est un mélange d’eau, de glace et d’air qui adhère au couvert de glace, au fond du lit de la rivière et aux berges. Il se forme par temps très froid. Ce frasil peut s’accumuler en assez grande quantité pour former un bouchon en amont duquel le niveau d’eau va monter, tout comme pour les embâcles de glace. Il est presque certain qu’un tel embâcle est responsable de l’incident de janvier 2014 à Pont-Rouge.
Les conditions propices à la formation d’un embâcle de frasil : temps très froid, faible débit, faible couvert de glace, méandres ou rétrécissement de la rivière.
Sur une rivière, restez sur vos gardes
Toutes les rivières sont susceptibles d’être affectées par une crue soudaine liée à un embâcle qui cède. Il est impossible de prévoir le moment exact où se forment ces embâcles, mais un indice particulier vous avertira du danger potentiel là où vous vous trouvez. Si les rives sont couvertes d’empilements chaotiques de glace, c’est qu’il y a déjà eu une crue soudaine des eaux (au moins aussi haut que la limite de l’empilement) et qu’il risque de s’en produire d’autres. Évitez alors de circuler sur la rivière (et encore plus de vous y installer pour plusieurs heures) si les conditions semblent propices à la formation d’embâcles. Si vous décidez tout de même de vous y aventurer, pensez à prendre certaines précautions.
- Ne pas demeurer au centre des rivières plus longtemps que nécessaire. La glace peut être emportée en quelques secondes à peine.
- Installer les sacs et les assureurs le plus haut possible sur les rives.
- Porter les crampons en tout temps sur la rivière. Cela permet de se déplacer plus rapidement si le besoin s’en fait sentir, particulièrement si vous souhaitez escalader les rives abruptes de la rivière pour vous y réfugier.
Ce petit article a été rendu possible grâce aux questions de Jonathan Bélanger qui ne s’est pas contenté d’avoir eu la frousse de sa vie. Il a cherché des réponses afin d’expliquer ce qu’il a vécu et d’éviter que l’expérience ne soit vécue par d’autres grimpeurs. Merci aussi à Stéphanie Morin.
Par Stéphane Lapierre