La face cachée de la roche 

Par Yasmina Bahloul, bénévole 

En juin 2018, je décide de m’impliquer davantage dans le milieu de l’escalade, je souhaite alors donner au suivant, dans un souci de « contribuer pour consommer».

C’est alors que je découvre, en devenant bénévole pour le CMEQ, le long cheminement et le travail acharné de ces bénévoles de l’ombre, des femmes, des hommes,  des grimpeurs, et avant tout des passionnés, qui dédient leur temps à leur premier amour, celui de l’escalade.

C’est ainsi que je souhaite vous raconter, à travers cet article, pour lequel j’ai réalisé une série d’entrevues avec ces hommes et femmes de l’ombre, la longue histoire du rocher et surtout de sa face cachée. C’est le cheminement complet qui nous permet aujourd’hui, nous grimpeurs de tout horizon de bénéficier de ses sites naturels d’escalade de rocher au Québec.

Corvée à Val Bélair – Photo Gérard Guérin

Une petite introduction pour ceux ou celles qui se demandent c’est quoi ça le CMEQ? c’est le Club de Montagne et d’Escalade de Québec, au passage c’est un parmi les nombreux clubs d’escalade de la province. Le CMEQ a pour mission d’offrir des activités d’escalade dans la région, de promouvoir la pratique sécuritaire de l’escalade et de soutenir le développement des sites extérieurs d’escalade. Pour en savoir plus, je vous invite à consulter le site web du CMEQ: http://cmeq.ca/

Ce rocher tant aimé qui porte en lui la grande histoire de la terre. Pour reprendre le récit de la fameuse grimpeuse écrivaine française Stéphanie Bodet; la première étape est la rencontre avec le rocherLe premier contact avec une voie ressemble à une rencontre amoureuse. On en a rêvé de loin, on la découvre soudain dans son intimité, dans le grain de sa peau et ses replis de calcaire. On en épouse tous les contours, tous les reliefs”. Extrait du livre: À la verticale de soi

La première phase de ce long processus est la phase de découverte, la découverte de falaises, d’un rocher pur, attirant.

Au travers de différentes entrevues, j’ai eu l’opportunité d’interroger Jean-Philippe Gagnon, président du CMEQ dont les rôles sont divers, un vrai couteau suisse, gestionnaire du budget annuel du club, membre du CA, il aime s’impliquer notamment dans l’organisation des corvées, et des activités déployées tout au long de l’année. Il travaille de pair avec les ouvreurs-équipeurs de la région, pour lui le club s’appuie surtout sur des grimpeurs impliqués au sein de la communauté. Il me raconte alors lors de notre entretien en quoi consiste certaines démarches à entreprendre pour l’ouverture d’un site extérieur.

Dès lors qu’une falaise est découverte, se pose alors la question de l’accessibilité notamment l’accès aux falaises. Il s’agit alors de rechercher des informations concernant le terrain sur lequel est située la falaise: s’agit-il d’un terrain privé ou d’une terre dite publique? (au Canada on parle de Terres de la couronne, au Québec on parle de Terres du domaine de l’État). Terres publiques ou terres privées, la démarche reste identique: il s’agit de qualifier la nature du terrain ce qui permettra ensuite de suivre deux types de processus selon si le terrain est privé ou public.

Une fois le terrain identifié (type de terrains, accessibilité, aménagement du site, qualité de la roche, investissements à prévoir etc), la deuxième étape réside à prendre contact avec les propriétaires du terrain en question. Dans le cas d’un terrain privé, le club ou bien souvent les ouvreurs-équipeurs eux-mêmes, dont on parlera plus tard dans cet article, prennent contact avec les propriétaires privés afin de s’informer de l’engouement ou non de ces derniers à autoriser la pratique de l’escalade sur le terrain. 

A partir de là, différentes discussions ont lieu afin d’expliquer la procédure qui sera enclenchée en cas d’accord entre le propriétaire et le club. S’ajoute lors de cette étape un autre acteur très important la Fédération Québécoise de montagne et d’escalade (FQME), l’organisme responsable de prendre en charge l’entente avec le propriétaire. La FQME, appuyé par les acteurs locaux tel que le club, les ouvreurs-équipeurs a la responsabilité de présenter aux propriétaires l’ensemble des éléments concernant l’autorisation du propriétaire de permettre la pratique de l’escalade sur son terrain. Le propriétaire doit prendre conscience que les acteurs principaux devront faire des aménagements sur le site en question (ce qui sous-entend l’installation de matériel permanent sous formes d’ancrages dans la falaise ou la construction de sentiers, et ou autres infrastructures).

Pour rappel, la FQME est un organisme sans but lucratif (OSBL), membre de l’Union internationale des Associations d’Alpinisme (UIAA) dont la mission est de favoriser le développement et d’assurer la promotion au Québec de la pratique de l’escalade extérieure et intérieure, de roche et de glace ainsi que le ski de montagne. Pour en savoir plus, vous pouvez consulter le site de la FQME https://fqme.qc.ca/ Tous les clubs locaux (ex CMEQ) et régionaux sont affiliés à la FQME.

Lorsque le terrain est de nature publique, les démarches sont similaires mais le cheminement est plus soutenu, plus délicat. Il s’agit d’approcher des municipalités, il faut alors “préparer un dossier”. Pour cette partie, j’ai choisi d’interroger Gérard Guérin, lui aussi membre du CMEQ, il occupe surtout le poste de Vice-Président des communications au sein du Club.

Tout comme son confrère Jean-Philippe ou JP pour les intimes, dans le pratico-pratique il organise des activités d’escalade, et des corvées pour la bonne gestion des sites (notamment le site de Val Bélair sur lequel il oeuvre en permanence), il est aussi le webmestre du site web du club. Dans son fort intérieur ce que Gérard souhaite avant tout c’est de redonner au suivant, c’est la mission qu’il s’est donnée au sein du club et dans sa pratique de l’escalade.

Depuis plusieurs mois, Gérard travaille sur un nouveau projet d’ouverture de site celui du Mont Bélair, un projet d’une grande envergure pour la région de Québec, un projet parmi tant d’autres beaux projets en réalisation dans la région de la capitale nationale ou dans ses environs (notamment secteur du Gros bonnet).

C’est un projet découpé en trois volets dont le facteur de succès est notamment les démarches en cours avec la municipalité. Ce projet est intéressant puisqu’il couvre une combinaison de terres privées comme publiques, ce qui nous amène à découvrir plusieurs facettes du processus.

Le premier volet couvre l’ouverture de voies sportives et de blocs sur des terres privées (processus décrit ci-dessus). Un deuxième volet du projet est également en cours, qui lui exige des démarches auprès de la municipalité en raison d’accès sur des terres publiques. Pour le premier volet, une entente a été signée entre la FQME et le propriétaire, entente qui est un élément clé pour l’accès au public. Il permet aux propriétaires de déléguer la gestion du site à la FQME; qui elle, fournit alors les assurances de responsabilité civile en cas d’accident sur le site, elle permet à tous les grimpeurs fédérés d’être eux aussi protégés (accidents et invalidités). 

C’est pourquoi adhérer à la FQME en tant que membres est une manière incontestable de  contribuer à l’effort commun, celui de permettre le développement de sites extérieurs et de favoriser légalement la pratique du sport.

Concernant le développement du deuxième volet, Gérard m’indique ce que cela représente comme démarches et efforts, en voici un aperçu, celui d’un volet plus sensible à mettre en place: signature du contrat entre la municipalité et la FQME pour le droit de circuler et aménager le site, démarches administratives (on connaît tous l’impressionnant processus de la bureaucratie entre autres formulaires à remplir, rédaction d’un mémoire afin de présenter le projet et ses retombées).Les démarches vont alors jusqu’à la présentation orale du projet devant les services de loisirs, en passant par un pitch de vente auprès des élus locaux).

Une fois le premier cycle du processus validé, il reste encore beaucoup d’étapes à franchir avant de pouvoir bénéficier du site. Concrètement on parle ici des étapes d’aménagement du site: ouverture et équipement des voies, ouverture des sentiers, corvées pour aménager les sentiers (aussi bien les sentiers d’approche que les sentiers de montagne ceux qui permettent de longer la paroi, construction et aménagement d’un stationnement, et construction des infrastructures etc). 

Si grimper est un sport, imaginer une ligne est un art, c’est là qu’intervient le travail de ses artistes, les ouvreurs-équipeurs, ceux que je nomme les artistes de l’ombre, des hommes et des femmes dont le travail consiste à ouvrir des lignes pures, un concentré de beautés et de difficultés. 

D’Zao Plamondon – corvée d’ouverture d’un projet au Lac Long – Crédit Arian Manchego

 

Pour en connaître davantage sur cet art, je rencontre Patrick Brouillard, ouvreur-équipeur. 

Patrick est avant tout un grimpeur depuis 29 ans, qui a choisi de regarder sa vie d’en haut, ouvreur-équipeur, fondateur avec sa compagne Amélie Vertefeuille de l’entreprise Passion Escalade. Il est aussi un parmi bien d’autres ouvreurs-équipeurs, à s’impliquer de façon notable dans le développement des sites. Il travaille lui aussi sur un projet de développement majeur à Trois rives, un site dont il est le propriétaire avec sa compagne, qui offrira une grande variété de types d’escalade. L’ouverture est prévue officiellement pour le 19 juin. 

Ce que je veux souligner, c’est le travail et le talent d’un ouvreur-équipeur. Selon Patrick c’est trouver une ligne à la base, aller au sommet et rappeler la voie, enlever les dangers potentiels en purgeant la voie, il s’agit aussi de faire un travail d’élagage en haut des voies puis de brosser. Ensuite, vient le temps de la découverte de la ligne imaginée, en la grimpant en moulinette, c’est la grimper plusieurs fois, notamment si c’est une ligne en escalade traditionnelle: on va alors grimper en marquant les placements des protections et on demande à d’autres grimpeurs expérimentés de répéter le même processus. Une fois la séquence connue, on retourne au sommet, et on rappelle la voie pour installer des ancrages (relais et autres scellements).

Il reste encore de la finition primordiale celle de créer en bas de la falaise une zone d’assurage sécuritaire, cela demande également un certain nombre de travaux souvent réalisés par des corvées.

Andréanne Vallières – ouverture de projets à Saint-Alphonse de Rodriguez – Photo Hugues Degrandmont

Enfin, une autre étape s’ajoute à ce cheminement pour permettre aux grimpeurs d’exploiter le potentiel du site, celle de la rédaction d’un topo, un projet en soi de longue haleine, on peut au passage remercier les rédacteurs des topos.

Comme tout terrain de jeu extérieur, c’est un travail en continu, la nature n’aimant pas le vide, il s’agit d’entretenir chaque année en début de saison les sites extérieurs pour continuer de pratiquer l’escalade en toute sécurité.

J’espère que cet article vous aura permis de vous plonger dans le quotidien de ceux qui œuvrent pour permettre de développer et préserver la pratique de l’escalade. Cet article est un petit aperçu de tous les acteurs de la communauté qui s’activent au quotidien pour nous aider à développer cet esprit pur  qui s’accroît sous l’écorce des pierres. Bien d’autres organismes sont aussi impliqués notamment les clubs d’escalade, bénévoles, centre d’escalades, et beaucoup d’autres.

N’oublions pas que ce n’est pas un droit mais un privilège de pouvoir grimper sur ses beaux sites extérieurs, alors le respect est de mise, c’est non seulement le respect des propriétaires mais aussi celui de tous ceux qui offrent de leur temps.

Qui sait peut-être que cet article vous donne également le goût de vous impliquer plus sérieusement dans la communauté, vous avez vous aussi l’envie de participer à des corvées ou à l’ouverture de voies? C’est simple, il vous suffit de contacter le CMEQ ou un autre club de votre région.

Je tiens à remercier tous ceux qui ont permis la rédaction de cet article,  ceux qui ont accepté sa publication ainsi que vous chers lecteurs et lectrices pour votre curiosité à en apprendre davantage sur ce que j’appelle la face cachée de la roche.

Par Yasmina Bahloul, bénévole

 

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