Le dos du grimpeur : les dangers d’une mauvaise posture

Chaque sport pratiqué de manière intensive amènera des adaptations au corps de celui qui le pratique. Pensons entre autres aux cuisses massives du patineur de vitesse, au profil élancé du coureur de fond ou aux bras surdéveloppés des gymnastes masculins. Toutefois, les adaptations du corps ne se limitent pas uniquement à la taille et à la forme des muscles. La posture s’adapte également à la pratique du sport et pas toujours de manière avantageuse…

Avec l’escalade, cette posture adaptative est si caractéristique qu’on la nomme désormais « le dos du grimpeur » (« climber’s back » en anglais). Ce phénomène est caractérisé par une apparence bossue du milieu du dos (hypercyphose), des épaules arrondies (rotation médiale et protraction), un bas de dos creux (hyperlordose lombaire) et une tête poussée vers l’avant (hyperlordose cervicale).

Cette pose assez fréquente chez les grimpeurs peut paraître plutôt bénigne, mais elle dénote en fait plusieurs problèmes musculosquelettiques pouvant mener à une baisse de la performance et éventuellement, à des douleurs et des blessures. Si ces symptômes se voient ignorés, ils peuvent même vous suivre le reste de vos jours !

Le mécanisme du dos du grimpeur : Pourquoi adoptons-nous cette posture ?

Lorsqu’un grimpeur en vient à grimper à sa limite en termes de difficulté, il veut naturellement être le plus efficace possible : forcer moins pour forcer plus longtemps et aller plus haut ! Afin d’économiser son énergie, le grimpeur utilisera au maximum son système osseux et ligamentaire plutôt que son système musculaire pour se maintenir sur la roche. Il prend donc une position décontractée avec les bras tendus, les épaules tirées vers l’avant et le dos arrondi.

Or, lorsque le corps est soumis à un stress répété, celui-ci agit un peu comme un ressort. Si on l’étire juste un peu, il revient à sa forme initiale et l’histoire s’arrête là. Par contre, si on l’étire à son maximum pour de longues périodes de temps et de manière répétée, il perdra éventuellement son élasticité et restera déformé. C’est exactement ce qui se passe avec les muscles du haut du dos (particulièrement les trapèzes moyens/inférieurs ainsi que les érecteurs du rachis au niveau thoracique) qui deviennent plutôt « étirés » et « paresseux » et qui n’arrivent plus à tenir le dos droit et les épaules vers l’arrière.

Les trapèzes

Orange : supérieurs

Rouge : moyens

mauve : inférieurs

source : Wikipédia

Muscles érecteurs du rachis thoracique

source : Anatomy of the human body, Henry Gray, 1918

Parallèlement, un muscle qui passe beaucoup de temps dans une position raccourcie aura tendance à se raccourcir. C’est ce qui se passe avec les muscles permettant au corps de se placer dans la position adoptée lors de la grimpe (particulièrement les petits pectoraux, les trapèzes supérieurs et les rotateurs médiaux de l’épaule).

          

Petit pectoral

Rotateurs médiaux de l’épaule
en position normale en position raccourcie vert : subscapulaire rouge : grand pectoral et grand dorsal en position normale

bleu : grand pectoral et grand dorsal en position raccourcie

source de toutes ces images : Université de Lyon, Anatomie 3D (avec leur aimable autorisation)

Le « dos du grimpeur » est donc une adaptation posturale provoquée par la pratique intensive de l’escalade et qui altère la relation force-longueur des différents muscles du membre supérieur. Mais en quoi cette posture représente-t-elle un problème ?

Les conséquences : pourquoi un problème de posture devrait-il me préoccuper ?

Pour tous ceux qui ont déjà dû faire réaligner les pneus de leur voiture ou de leur vélo, vous comprendrez l’effet que peut avoir un mauvais alignement : on obtient une perte de performance, mais surtout une usure prématurée à un endroit particulier du pneu. Le corps humain n’étant qu’une machine plus complexe, il n’est pas à l’abri de ce genre de problèmes mécaniques.

Lorsque les muscles du membre supérieur ne sont pas développés en parfait équilibre, que ce soit au niveau de leur force ou de leur flexibilité, la mécanique de l’épaule s’en trouve altérée. Ceci mène à une augmentation de tension et de friction sur les ligaments, les tendons et le cartilage de l’articulation. De fil en aiguille, cette friction amènera une usure prématurée qui amènera à son tour de l’inflammation et des douleurs chroniques voir même des blessures graves.

Selon Wright D.M. et al, entre 75 et 90 % des grimpeurs peuvent s’attendre à développer un syndrome ou une blessure liée à une surutilisation du membre supérieur. Selon Schöffl V. et al, environ 17 % de toutes les blessures rapportées en escalade sont associées à la région de l’épaule. Plusieurs autres problèmes avec des noms à faire peur peuvent également être associés au « dos du grimpeur » : douleurs cervicales chroniques, syndrome de butée sous-acromiale, instabilité gléno-humérale, syndrome du défilé thoracique, spondylolyse lombaire, etc.

La prévention : Que puis-je faire pour me protéger ?

La posture est un aspect physique particulièrement difficile à travailler. Que ce soit votre posture de travail, votre posture sportive ou même votre posture de sommeil, le seul moyen d’y remédier est de penser à la corriger aussi souvent que possible. Tous les étirements et exercices de renforcement du monde ne corrigeront pas votre posture si vous n’arrivez pas à vous tenir correctement au quotidien. Ceci dit, il est clair que ces exercices pourront vous aider à prendre conscience de vos faiblesses et à les travailler afin de pouvoir continuer à grimper toute votre vie.

Comme principe général, vous devrez étirer les muscles qui sont souvent contractés (grand dorsal, grand pectoral, petit pectoral, subscapulaire) et renforcer ceux qui sont souvent étirés lors de l’escalade (trapèzes moyen et inférieur, érecteurs du rachis thoracique) et ceux pouvant contrer l’action des muscles raccourcis (infra-épineux, triceps, fessiers, etc.). Les différents aspects du « dos du grimpeur » (petit pectoral, les mouvements de la scapula, l’hypercyphose, l’hyperlordose, la coiffe des rotateurs) [NJ1] seront visités plus en détail et plusieurs propositions d’exercices et d’étirements vous seront faites dans des articles subséquents, restez donc à l’affût !

Pour finir, n’oubliez pas que chaque personne est différente et que même un grimpeur aguerri peut développer des problèmes totalement différents de ceux observés dans la majorité des cas. Si vous avez des douleurs, des blessures ou des inquiétudes liées à la pratique d’un sport, rien ne pourra remplacer une consultation auprès d’un professionnel de la santé (physiothérapeute, kinésiologue, médecin du sport, etc.).

Nicolas Janelle, B. Sc. Kinésiologie, préparateur physique

 

Sources :

  1. Roseborrough & M. Lebec, Differences in Static Scapular Position Between Rock Climbers and a Non-Rock Climber Population, N Am J Sports Phys Ther, 2007

J.H. Weon et al, Influence of Forward Head Posture on Scapular Upward Rotators During Isometric Shoulder Flexion, Journal of Bodywork & Movement Therapies, 14, 367e374, 2010

  1. Förster et al, Climber’s Back – Form and Mobility of the Thoraco- lumbar Spine Leading to Postural Adaptations in Male High Ability Rock Climbers, Int J Sports Med, 30: 53 – 59, 2009

Schöffl V. et al, Injury Trends in Rock Climbers/ Evaluation of a Case Series of 911 Injuries Between 2009 and 2012, Wilderness Environ Med, 26, 62–67, 2015

Wright D.M. et al, Indoor Rock Climbing: Who Gets Injured?, Br J Sports Med, 35:181–185, 2001

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